Acteur et artiste de la scène glacée, co-propriétaire de la patinoire CyberGlace, co-fondateur du bureau d’études New PatinAge et artiste associé de la compagnie Moins 5, je développe une démarche artistique singulière, mêlant jeu, mise en scène et création autour — ou à partir — de la glace.
Cette position unique me permet d’imaginer des projets à la croisée du théâtre, de l’innovation culturelle et de l’engagement collectif.
J’aime nourrir cette dynamique au sein du Syndicat National des Patinoires, où je contribue à bâtir des ponts entre sport, culture et écologie — une mission d’avenir, notamment en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030.
À ce titre, lors du congrès national de Grenoble (19-21 mai), Thierry Voegeli a animé des conférences sur la technique, l’environnement et la fabrication d’une glace « juste » et contemporaine.
De mon côté, j’ai co-animé une conférence avec Bouba Landrille Tchouda :
« Décloisonner. Accueillir. Innover : et si la glace devenait un lieu partagé entre sport et culture ? »
Voir une patinoire autrement …
La Trahison des images (1929) René Magritte voulait éveiller la réflexion rationnelle par l’absurde. Il disait vouloir "rendre visible la pensée".
Carolyn Carlson (danse pieds nus à l’Opéra !)
c’est tout ce qui façonne une société et les individus qui la composent. Comme des pratiques qui se transmettent de génération en génération. La glace en fait partie. Dans le domaine des patinoires, la culture prend une dimension sociale mais aussi artistique.
Une culture de la glace ancrée dans certaines sociétés
Dans plusieurs pays (Canada, Russie, pays nordiques…), la glace et le patinage font partie de l’identité culturelle. La patinoire est un lieu social où les traditions se transmettent, notamment à travers le hockey, le patinage de loisir ou les festivals d’hiver.
Cependant, le hockey sur glace ne constitue pas toujours l’identité principale des patinoires françaises : certaines pourraient s’appuyer sur des activités culturelles pour développer le nombre d’entrées, croiser les publics et ouvrir cet espace à des visiteurs non pratiquants.
La patinoire comme espace culturel
Les patinoires ne sont pas seulement des lieux de pratiques sportives régies par des fédérations (hockey, patinage) placées sous la tutelle du ministre chargé des sports, ce sont aussi des espaces de création et de rassemblement.
Exemple du Freestyle qui se développe librement en séances publiques.
Elles peuvent accueillir des spectacles, des performances artistiques et des événements festifs, intégrant ainsi la dimension culturelle à leur fonction première.
Dans le milieu de la glace, un spectacle se distingue d’un gala ou d’un divertissement avant tout par son intention artistique structurée et sa démarche de création scénique.
Un gala de patinage est un moment fort de la vie d’un club ou d’un événement : il célèbre la pratique, met en lumière les patineurs, leurs parcours et leurs styles, à travers une succession de tableaux souvent festifs, chorégraphiques et visuellement riches. Il permet de partager avec le public la beauté du geste, la diversité des univers et la convivialité du milieu.
Un divertissement sur glace, quant à lui, se pense avant tout comme un moment de plaisir, de détente, parfois de magie ou de surprise, avec des mises en scène plus légères ou grand public, pensées pour séduire un large éventail de spectateurs.
Un spectacle, dans une approche plus proche du champ culturel, propose une écriture, une mise en scène et une direction artistique cohérente d’auteur ou de metteur en scène avec une volonté de questionner, d’émouvoir ou de transmettre.
La glace devient alors un espace scénique à part entière, au service d’une narration ou d’un propos esthétique. Les patineurs y sont dirigés comme des interprètes, au même titre que des comédiens, danseurs ou circassiens. Le spectacle ne cherche pas à "faire plus", mais à "dire autrement", en s’adressant à l’imaginaire et à la sensibilité du spectateur.
Ces trois formes – gala, divertissement et spectacle – ont chacune leur place, leur fonction et leur richesse. Mais elles relèvent de logiques différentes : l’une plus sportive ou associative, l’autre plus événementielle, et la dernière résolument artistique et culturelle et ainsi permettre aux patinoires qui le désirent d’être considérée comme lieu de diffusion.
C’est un défi pour les JOP 2030. Cette fonction plus culturelle des patinoires ouvre la voie à une véritable articulation entre sport et culture, à l’image de ce qu’a initié Paris 2024.
Elle pourrait ainsi jouer un rôle essentiel dans la dynamique des Jeux Olympiques d’hiver 2030, en valorisant les pratiques artistiques sur glace comme des expressions à part entière de la culture du mouvement. Cela permettrait de relier autrement les territoires aux Jeux, en impliquant les structures de glisse non seulement comme sites sportifs, mais aussi comme lieux de création, de transmission et de lien social. Cette image culturelle, en résonance avec les enjeux contemporains, permettrait également d’aborder plus sereinement la question écologique posée par les activités sportives hivernales, aujourd’hui fragilisées par le changement climatique.
En repositionnant la glace comme un espace de création, de réflexion et de transmission artistique, les patinoires peuvent devenir des lieux de transition, capables de réinventer leur rôle dans la société au-delà de la seule pratique sportive. Cela ouvre la possibilité d’une nouvelle légitimité, plus durable, plus transversale, et mieux alignée avec les attentes environnementales et culturelles de notre époque.
En 2009, au CyberGlace de Monéteau, nous avons choisi de déplacer le curseur de l’axe 'ministère des Sports' vers celui du 'ministère de la Culture', afin que nos actions artistiques sur glace soient certes pleinement reconnues comme de véritables actions culturelles, au sens où l’entend ce milieu mais pas seulement.
En parallèle, nous avons engagé une démarche écologique concrète, avec l’installation de 232 panneaux photovoltaïques et l’utilisation de groupes froids plus responsables.
Mais au-delà des aspects techniques, notre objectif a toujours été de lier la transition écologique et la transition culturelle, non pas comme une stratégie de communication ou de valorisation, mais comme une cohérence profonde de notre action. Il ne s’agit pas d’en faire un argument de propagande, mais d’inscrire nos choix dans une logique durable, honnête et complémentaire : celle de repenser la place de la glace dans la société, à la fois comme espace artistique et comme lieu engagé dans les enjeux contemporains.
Pour permettre cette démarche, le milieu éducatif représente un enjeu central.
Aujourd’hui, le patinage scolaire est encore majoritairement perçu et pratiqué sous le seul prisme sportif. Il est pourtant indispensable qu’il puisse également s’intégrer aux projets d’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), portés par le ministère de l’Éducation nationale. Cette ouverture permettrait de valoriser le patinage comme un vecteur d’expression, de créativité et de sensibilisation artistique, en phase avec les objectifs de transmission culturelle et d’égalité d’accès à l’art pour tous les élèves. Cela implique un lien étroit avec le Pass Culture et la plateforme Adage.
Le Pass Culture est un dispositif national qui finance l’accès des jeunes à des offres culturelles, individuellement ou en groupe dans le cadre scolaire.
Adage est la plateforme utilisée par les enseignants pour construire et valider leurs projets culturels avec des structures partenaires.
Ma démarche prend racine dans mon parcours de comédien, construit au fil du temps par une formation exigeante et une pratique régulière du jeu, sur scène comme face à la caméra.
Issu du monde du patinage artistique de haut niveau, j’ai progressivement élargi mon champ d’expression en me formant au théâtre et à l’interprétation, dans le but de donner plus de corps, de sens et d’émotion à ce que je propose sur glace.
Aujourd’hui, je cherche à décrocher des rôles qui me permettent de creuser davantage la construction d’un personnage, d’une scène, d’une émotion, et à faire dialoguer ces outils d’acteur avec ma vision scénique du patinage.
C’est cette double identité — à la fois physique et sensible, ancrée dans la performance mais tendue vers le récit — qui nourrit ma volonté de faire de la glace un véritable espace de jeu théâtral et d’incarnation artistique.
Mais ce parcours s’inscrit aussi dans un questionnement profond sur notre époque, et notamment sur l’impact écologique de nos pratiques.
Le sportif comme l’acteur peuvent parfois être perçus — à juste titre — comme des enfants gâtés, centrés sur leur performance ou leur image, déconnectés du bien commun.
C’est justement cette image que je cherche à dépasser, en construisant une démarche cohérente où l’expression artistique ne se fait pas au détriment du monde, mais en dialogue avec lui — à travers une transition écologique assumée, et une réinvention du rôle social de la glace.
Je tiens à remercier chaleureusement Bouba Landrille Tchouda, chorégraphe, danseur et Ambassadeur de la ville de Grenoble, pour sa présence et son engagement à nos côtés lors de cette conférence.
Au-delà d’un précieux soutien, il a incarné une légitimité artistique essentielle, permettant de faire passer certains messages avec la reconnaissance et la force qui viennent d’un acteur pleinement identifié dans le monde culturel.
Son intervention a donné une profondeur particulière à notre réflexion commune, en incarnant concrètement le lien possible entre création contemporaine, action territoriale et transformation des patinoires en véritables espaces de culture partagée — au service d’une nouvelle dynamique d’émergence.